Le cri de la fraise | Le Monde | 2007

Rosita Boisseau

A y bien regarder, des fraises qui saignent, cela peu paraître presque banal. Mais quand ces mêmes fraises dodues, bien rouges, se mêlent de couiner, gémir, hurler même, l'affaire prend un tour bizarre. Sous le titre Death Is Certain, la performance faussement culinaire de la jeune artiste allemande Eva Meyer-Keller réussit à rendre (presque) perceptible le cri de la fraise en train de se faire étrangler par du fil de pêche ou brûler par un fer à repasser.

Présentée au Mac/Val de Vitry dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne, le 10 mars, Eva Meyer- Keller est à l'affiche, mardi 27 mars, du festival pluridisciplinaire Visu de Dieppe, dont la septième édition enfonce plus que jamais le clou d'un anticonformisme vigoureux dans le contexte d'une petite ville de 35 000 habitants. Ritualisée avec une froideur gourmande, la petite cérémonie funèbre est plus suggestive et perturbante qu'on ne le croit au premier abord.

Death Is Certain se révèle passionnante dans les associations d'idées qu'elle suscite et les déplacements de contextes qu'elle met en branle. De l'inanimé fruité à l'animé trop humain qu'on martyrise et tue, il n'y a que quelques pas qu'Eva Meyer-Keller nous fait franchir insensiblement.

Il suffit de banals ustensiles - fil à coudre, verre en plastique, épingle... - pour que la performeuse en robe noire et tablier blanc de soubrette se métamorphose en meurtrière. Peu à peu, les sévices subis par les fraises se transforment en tortures où l'on mesure l'imagination sans frein des hommes pour en tuer d'autres. Paradoxe, l'odeur suave des fraises meurtries nous donne envie d'en manger.



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